Province Ecclésiastique de Lyon
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 Sainte Anastasia

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maryanne.
Curé de Moulins
maryanne.


Nombre de messages : 156
Date d'inscription : 16/09/2017

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MessageSujet: Sainte Anastasia   Sainte Anastasia EmptyMar 28 Aoû 2018 - 12:39


Sainte Anastasia


______La jeune Anastasia naît à Novgorod en 1256 d’un père haut-fonctionnaire et d’une mère issue de la petite noblesse. Ses deux parents étaient aristotéliciens par tradition plus que par choix, mais, cependant, se rendaient à la messe chaque dimanche et n’omettaient jamais de donner quelques roubles lors de la quête à la fin de l’office.
______Anastasia est enfant unique. Son père, menant une grande carrière administrative, possédait des revenus très corrects : ils permettaient à la mère d’Anastasia de passer ses journées en compagnie de sa fille et leur assuraient une aisance matérielle considérable. La jeune fille rêvait déjà d’un somptueux mariage avec le plus tendre et le plus riche des jeunes russes. La jeune Anastasia avait tout pour être heureuse, et elle l’était.

______Très tôt, Anastasia manifesta une étonnante curiosité intellectuelle. Il ne se passait une journée sans qu’elle ne posât à sa mère des questions sur la vie, la mort, la jeune République, l’amour ou Dieu. Son père s’en félicita et convoqua aussitôt les meilleurs précepteurs. Les candidats affluèrent des quatre coins de la Principauté et même des lointaines Kiev et Moscou : la réputation de la famille était honorable et la place était stable et fort bien rémunérée.
______Mais son père était un homme très attentif au bien-être de sa fille et, délaissant un temps son travail à l’administration, il décida de prendre quelques jours de vacance afin de s’entretenir personnellement avec les candidats pour s’assurer, d’une part, de leur piété — car il voulait que sa religion soit transmise à sa fille — et, d’autre part, de leur vision de la jeune République — en effet, ce concept était nouveau et il entendait bien que sa fille poursuive son action : en aucun cas il ne voulait qu’elle développe des idées pro monarchiques.
______Le choix du père de la jeune Anastasia se porta finalement sur un natif de Novgorod âgé d’une cinquantaine d’années, et l’instruction de la jeune fille débuta.

______Mais Anastasia s’ennuyait. Son précepteur pensait qu’il était meilleur qu’il enseigne plutôt qu’il ne réponde aux questions de la jeune fille. Il se trompait. Non pas qu’Anastasia n’était intéressée que par un petit nombre de choses, mais il y avait certaines choses qu’elle brûlait de savoir. Son précepteur n’avait pas compris qu’il aurait d’abord dû résoudre les énigmes premières de la jeune fille avant d’entreprendre un enseignement classique.
______Cependant, Anastasia était trop reconnaissante envers son père et avait trop d’estime pour son vieux précepteur qu’elle ne toucha mot de son ennui à personne. Elle décida de trouver seule les réponses à ses questions et, comme on lui avait toujours dit que les hommes d’Église étaient sans doute les hommes les plus cultivés, elle se rendit à la cathédrale où elle s’entretint avec plusieurs chanoines, lesquels furent ravis de voir qu’une si jeune enfant manifestait un tel intérêt pour des questions théologiques.
______Ainsi, ayant trouvé réponse à ses questions existentielles, elle s’ennuya moins lors des leçons avec son précepteur.

______Au fil du temps, les chanoines abordèrent d’autres thèmes avec la jeune enfant-prodige, dont celui de la nature divine du pouvoir. Ce fut sans doute cela qui fut à l’origine des malheurs d’Anastasia. En effet, les chanoines lui expliquèrent comment étaient les choses avant que la République ne soit instaurée — c’était ce sujet même que son père ne voulait pas voir abordé par le précepteur. Petit à petit, Anastasia comprit que la République, en dépit de son succès du point de vue administratif, allait bientôt rendre l’Église totalement impuissante, ce qui lui semblait inconcevable.
______Elle résolut d’en discuter avec son précepteur, dont la sagesse était grande. L’homme fut totalement pris au dépourvu : il ne sut de prime abord s’il devait ou non répondre aux interrogations de la jeune Anastasia à ce sujet. Son statut de précepteur l’y incitait, mais le père de la jeune fille le lui avait formellement interdit. Cependant, ce fut son côté pédagogue qui prit le dessus et, après avoir fait jurer à Anastasia de ne pas dire à son père qu’il avait consenti à parler de la République avec elle, il accepta de répondre à ses questions. Le précepteur avait connu la cour des Tsars, où, pour services rendus, il avait reçu certains privilèges ainsi que quelques terres. Anastasia comprit donc rapidement que lui aussi souhaitait secrètement un retour à la monarchie.

______Anastasia vouait une grande admiration à son père, auquel elle était par ailleurs très attachée. Il lui était insupportable de le savoir sur la voie de l’égarement aussi bien théologique que philosophique. Au bout d’un certain temps, elle décida de lui faire part des idées qu’elle avait développées. Son père qui, jusqu’alors, était calme et bienveillant, entra dans une colère folle. Il était persuadé que c'était ce précepteur qu’il jugeait trop aristocrate qui avait inculqué ces idées néfastes à sa fille.
______Anastasia, qui adorait son précepteur, intervint en la faveur de celui-ci, expliquant que c’était plus à la cathédrale qu’à la classe qu’elle avait développé de telles pensées. Son père, sous le coup de la colère, prit une décision qui scella le destin de la jeune fille. Voici, paraît-il, ce qu’il lui répondit, dans une traduction approximative : « Alors comme ça, les curés t’ont dit que j’étais dans le péché, et tu les crois ? Alors que moi, je me sacrifie pour toi ; alors que je me tue à la tâche pour te payer le meilleur des précepteurs ? Eh bien, puisque tu es tellement ingrate et que tu sembles plus estimer les curés que moi, je t’ordonne de prendre le voile. Tant pis pour tes rêves de mariage ! »

______Anastasia entra donc au couvent. Au début, elle pleurait toute la nuit et était apathique le jour. Son rêve avait toujours été de se marier et d’avoir des enfants afin de leur transmettre quelque chose aussi bien matériellement que spirituellement. Arrivée seule au couvent, elle ne souffla mot des conditions qui l’y avaient menée, pas même à la mère supérieure, qui était pourtant une femme exceptionnellement bonne et compréhensive. Celle-ci fit tout son possible pour intégrer Anastasia, mais en vain : la jeune fille, inconsolable, restait isolée.
______Un beau jour, la mère supérieure eut une idée lumineuse : à l’issue d’un office, elle tint ces paroles à Anastasia : « Vous êtes ici depuis trois semaines et vous ne vous êtes pas encore confessée. Vous savez comme moi qu’il est bon de se confesser au moins une fois par semaine ou toutes les deux semaines. Pour votre salut, je vais donc vous entendre personnellement en confession. » Le stratagème paya : ayant conscience que c’était à Dieu qu’elle s’adressait au travers de la mère supérieure, Anastasia avoua les circonstances dans lesquelles elle était arrivée au couvent. Les larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille plongée dans l’ombre du confessionnal de la petite chapelle du couvent.
______La mère supérieure était bonne et intelligente et, après avoir entendu la terrible histoire d’Anastasia, elle lui tint ces paroles qui changèrent la destinée de la jeune fille : « Puisque vous vous désolez de ne jamais avoir d’enfant à qui transmettre quelque chose, je vais vous confier une tâche dans laquelle vous pourrez transmettre quelque chose à d’autres enfants. La République naissante, que vous avez tant décriée, a certes retiré son caractère sacré au pouvoir, mais elle a cependant décidé de nous aider dans notre enseignement. Grâce aux subsides que l’État nous verse, nous allons ouvrir des classes destinées à enseigner aux jeunes enfants dont les parents n’ont pas les moyens de rémunérer un précepteur. Et j’aimerais que vous enseigniez dans une de ces classes. »

______C’est ainsi que la jeune Anastasia devint le professeur d’une vingtaine d’enfants âgés d’entre huit et quatorze ans. Au début, la jeune fille était quelque peu maladroite : elle n’avait suivi aucune formation, seule lui avait été communiquée la matière qu’elle avait à enseigner. Cependant, petit à petit, elle gagna en assurance et se révéla être une excellente pédagogue. Elle aimait ses élèves et ses élèves l’aimaient. Sa blessure cicatrisait doucement et, bien qu’elle éprouvât toujours le regret de ne jamais avoir d’enfant pour elle seule, elle commençait à trouver un semblant de paix intérieure. Cette renaissance perdura pendant sept années.

______Au bout de sept années d’enseignement intensif, Anastasia tomba gravement malade. La République en plein essor avait attiré de nombreux savants, dont d’excellents médecins, lesquels acceptèrent d’examiner bénévolement la vertueuse malade. Leur diagnostic était incertain, mais ils parvinrent à tomber d’accord sur un remède : le climat ne convenait pas à Anastasia ; il lui fallait, pour guérir, vivre dans un pays plus ensoleillé et moins froid.
______Ce diagnostic plongea Anastasia dans une indicible détresse. On dit qu’elle tint ces paroles à la mère supérieure : « Pourquoi, ma mère, pourquoi ? Je venais de trouver un semblant d’équilibre et, à présent, Dieu veut m’en éloigner ! Êtes-vous certaine qu’Il est bon et infaillible ? En me frappant de ce nouveau malheur, Il m’apparaît soit cruel soit aveugle ! » Devant un tel déferlement de douleur et de paroles, la pauvre mère supérieure fut perdue. Elle se contenta de faire ce semblant de réponse à Anastasia : « Les voies du Seigneur sont impénétrables. » Elle était loin d’imaginer à quel point cette simple déclaration, anodine en apparences, allait avoir de l’importance sur la vie de la sainte.
______L’ordre religieux auquel appartenait le monastère qui avait recueilli Anastasia possédait un monastère entre Alençon et Verneuil. La région étant plutôt ensoleillée, il fut décidé que la jeune fille y serait transférée.

______Le voyage fut particulièrement éreintant, aussi c'est dans un état de santé précaire qu'Anastasia franchit pour la première fois les portes du monastère. Elle ne vit pas la beauté de la nature, pas plus qu'elle ne profita de la douce chaleur du soleil sur sa peau. Non, elle resta alitée plusieurs jours avant de pouvoir sortir de sa cellule. Cependant, sa profonde mélancolie commença à s'atténuer lorsqu'un rayon de soleil caressa sa joue un matin. Se sentant ragaillardie, elle sortit enfin faire quelques pas dans les jardins, après plus de deux semaines recluse et souffrante. Et, là, ce fut une révélation : la beauté des lieux l'envoûta, le parfum des fleurs, la douceur de l'air et les milliers de couleurs qu’elle admirait lui firent comme un choc tant le lieu était tout bonnement sublime, grandiose, incandescent de beauté et tant elle avait été recluse dans d’austères cellules. Anastasia passa ainsi plusieurs heures à voleter de fleur en fleur, posant sa main sur l'écorce de chênes centenaires, surprenant ici un écureuil, là une abeille... Ce fut une des sœurs, croyant que la pauvre enfant avait perdu l'esprit tant elle riait toute seule, qui dut la ramener à l'intérieur.
______Ce fut une transfiguration pour Anastasia. Son enthousiasme et son allégresse ne tarirent pas et, très rapidement, elle put recommencer à enseigner aux enfants. Les sœurs lui confièrent des charges supplémentaires, d'autres matières à enseigner, et Anastasia accomplissait son devoir avec joie.

______Vint le jour fatidique où elle fut ordonnée prêtre. Ce jour-là, des passions contrastées agitaient la jeune femme. Elle savait que, par la prononciation de ses vœux, elle renonçait définitivement à tout mariage ou à tout enfant ; mais elle savait également que c’était le meilleur moyen d’affirmer son engagement au service du Très-haut. Une fois ordonnée, elle se vit confier la célébration de quelques cérémonies et, petit à petit, elle fit son chemin au sein du couvent : elle s'occupa des pastorales puis contribua à l'élaboration du séminaire local, donnant beaucoup d'elle-même pour l'évolution de la religion dans le diocèse. On la nomma vicaire diocésaine et, quelques années de bons et loyaux services plus tard, elle finit par devenir le bras droit de l'archevêque de Rouen.
______C'était un homme bon et généreux, qui appréciait énormément les capacités de travail et d'écriture, la dévotion et l’optimisme débordant d’Anastasia. Il la guida et lui enseigna les rouages de la hiérarchie de l'Église, lui indiqua à qui faire confiance et de qui se méfier, à qui demander de l'aide et de qui ne rien espérer. Assidue et attentive, Anastasia ne manquait pas une miette des inestimables enseignements du vieux serviteur de Dieu.

______Un jour, l'archevêque tomba gravement malade. Anastasia le veilla nuit et jour, priant sans discontinuer pour le salut de son âme. Malgré ses supplications envoyées vers le Très-Haut, l'archevêque trépassa un soir de novembre. Ce fut un nouveau choc pour Anastasia : qu'allait-elle faire sans lui ? La jeune femme sombra dans le désespoir le plus total, passant des heures à sangloter. Très rapidement, malgré sa tristesse et ses récriminations, elle se vit nommer à la place de son mentor. D’emblée, certaines voix s’élevèrent pour protester contre cette nomination : elle apparaissait comme une très faible et influençable femme, n’ayant aucune poigne ; elle-même semblait sous-entendre qu’elle ne se sentait pas prête pour cette charge importante. Mais la hiérarchie, que l’archevêque avait, dans son testament, exhorté à nommer sa protégée à sa place, en avait décidé autrement.
______Son incommensurable chagrin, Anastasia le noya dans le travail et, à la surprise de tous et d’elle-même la première, s'avéra une excellente archevêque. Son poste la mena également auprès du duc d’Alençon qui la nomma conseillère religieuse. Elle siégea ainsi plusieurs années, vit les ducs passer.

______Un jour, pour des raisons qui nous sont inconnues, Anastasia décida de se lancer en politique. Elle choisit le parti alençonnais qui lui semblait le plus vertueux et le plus proche des lignes directives de l’Église et s’y impliqua avec, comme à chaque fois qu’elle décidait de prendre une charge, toute son énergie, ce qui lui permit d’être très rapidement dans le haut des listes. Elle enchaîna alors les postes au conseil et occupa successivement les charges de bailli, de procureur, de juge et de commissaire au commerce.
______Sa persévérance, sa droiture et son exceptionnel bilan en tant que commissaire au commerce lui permirent de se faire reconnaître duchesse lors du conseil suivant. Par sens du devoir plus que par conviction, elle accepta. Pourtant quelque chose en elle s'était brisé. Mise en avant par son poste de duchesse, elle était la proie de la véhémence et des railleries de ceux qui ne concevaient pas que l’on puisse être archevêque et duchesse, ce qui lui fit comprendre que la vie politique n'était pas une voie acceptable pour elle qui prêchait l’amitié et la compréhension. Le temps où jeune femme papillonnait dans le jardin du monastère était bien loin.
______Anastasia démissionna de son poste de duchesse après moins deux semaines de règne. Lasse de la vie publique et ne concevant plus d’être archevêque sans siéger au conseil, au moins en tant que conseillère religieuse, elle démissionna également de son poste d’archevêque, au grand désespoir des fidèles qui avaient trouvé en elle un berger extrêmement proche d’eux. Elle se retira dans le fief qui lui avait été donné en remerciement pour son action apaisante au sein des précédents conseils.

______Après plus de quarante ans passés à gravir les échelons de la hiérarchie séculaire et ecclésiastique, elle put enfin respirer. Durant quelque temps, elle se contenta de jardiner, retrouvant les odeurs et les plaisirs simples de la terre. Néanmoins, l'érudite qu'elle était ne pouvait se contenter uniquement de travaux manuels : faire travailler son esprit lui manquait. Après quelques mois, elle se mit à écrire, mettant à profit l’immense quantité de temps dont elle disposait à présent pour s’isoler des journées entières dans le scriptorium du monastère ou dans la bibliothèque de son petit domaine.
______Elle perfectionna et atteint un degré de sophistication qui en impressionnait plus d’un. On sait qu’elle écrivait énormément mais, malheureusement, la plupart de ses textes ont été perdus car, à sa mort, les personnes à qui son domaine échut n’en prirent aucun soin. Cependant, on en a conservés quelques-uns qui sont en cours de restauration, mais ce n’est rien en comparaison de la montagne d’écrits qu’elle a sans doute produite.

______Cette vie faite de plaisirs simples, d’étude acharnée et d’écriture compulsive dura dix-sept ans. Anastasia s’éteint dans la bibliothèque de son domaine et on raconte que, lorsqu’on découvrit son corps, on s’aperçut qu’elle était morte assise à sa table de travail, le stylet à la main et une mer de livres étalée devant elle, les yeux tournés vers le ciel et la bouche figée en un sourire béat.


Texte établi avec la plus grande rigueur philologique sur base de divers écrits circulant dans la région de Verneuil et dans tout le royaume de France, de récits faits par d’aimables fidèles, croyants et hétérodoxes et de fouilles opérées dans le domaine et le couvent de sainte Anastasia, par messeigneurs Désidérade Ytournel de l'Obstancie et Arnault d’Azayes, théologues du Saint-Office romain.

Citation :

L’avant-veille de la Saint-Julie-Libérée de l’an d’Horace MCDIII, Jean et Adeline, boulangers à Argentan, ont souhaité que leur témoignage soit mis par écrit par frère Welrigotef, chanoine de l’archidiocèse de Rouen et scripteur pour le Saint-Office romain.

Cela faisait déjà bien trois ans que ma femme et moi avions été mariés par le curé de notre bonne ville. Les premiers mois de notre ménage furent idylliques : nous possédions une petite maison, quelques animaux, et surtout un très beau moulin qui nous permettait de vivre plus que confortablement. La guerre semblait bien loin de nos terres et, chaque dimanche, nous nous rendions à la petite église pour assister à la messe.
Dans un tel climat de prospérité – d’abondance même –, vous comprendrez sans peine que mon désir et celui de mon épouse étaient de voir notre mariage béni par la naissance d’un enfant, d’un petit héritier ou d’une petit héritière qui vivrait avec nous dans cette riche région.

Or, plus d’une demi-année après que notre union eut été célébrée devant Dieu, le ventre de mon épouse ne grossissait toujours pas. Pendant plus d’un an, rien ne se passa. Au bout d’un an et demi, Adeline et moi décidâmes, comme on nous l’avait toujours appris, de ne pas rester seuls dans notre désarroi. Nous allâmes demander conseil à la personne qui nous semblait la plus sage du village en matière de choses naturelles : le curé. Nous lui expliquâmes la situation brièvement. Voici, approximativement, ce qu’il nous répondit :
« Mes enfants... Je comprends votre situation. Avant de vous parler de vous, je vais, chose rare, vous parler de moi. Ou plutôt de nous. Nous autres, prêtres, ne pouvons pas procréer. Certains d’entre nous le regrettent mais se font tout de même ordonner ; d’autres encore n’acceptent pas cette interdiction et préfèrent ne pas devenir prêtre tout en restant clercs. Si je vous parle de cela, c’est car la seule explication que je vois à votre incapacité à avoir un enfant doit être la même explication que celle que l’on donne aux prêtres s’interrogeant sur l’interdiction : Dieu considère que certains hommes et certaines femmes ont une mission importante qui serait compromise par la procréation. Je ne suis pas en train de dire que vous devez rentrer dans les ordres : au contraire, votre mariage n’est en aucun cas maudit par votre incapacité. Il faut simplement accepter Sa décision et, au lieu de vous acharner, ne pas essayer d’en trouver les raisons par vous-mêmes mais bien attendre que celles-ci s’imposent à vous. »

Notre curé était un homme très sage mais vous comprendrez aisément que ses paroles ne purent que difficilement satisfaire le jeune couple plein d’espoirs que nous étions. Ma femme, surtout, ne pouvait accepter une telle fatalité. J’étais un brin plus résigné qu’elle et je tentais de la raisonner en lui expliquant qu’il n’était pas correct de soutenir que le curé se trompait. Mais rien n’y faisait : Adeline était persuadée qu’un mariage n’était réellement béni de Dieu que le jour où un enfant en naissait.
La belle harmonie des premiers jours était décidément bien loin de nous, et je craignais que notre histoire se termine de façon tragique, tant Adeline semblait constamment se rapprocher du côté de la mort.

Une soirée d’automne où une dispute particulièrement violente avait éclaté entre Adeline et moi, alors que nous nous apprêtions à nous coucher, un éclair de lumière aveuglant pénétra dans notre petite maison et une voix douce d’une chaleur jusqu’alors jamais ressentie retentit.

« Jean, Adeline, ne pensez pas que Dieu est un ingrat. Adeline, j’ai comme toi vécu le drame de ne pouvoir avoir d’enfant. Jean, j’ai comme toi dû me résigner aux commentaires pragmatiques d’un prêtre. Mais je sais ce que l’on ressent dans de tels cas. Dieu ne peut se tromper mais peut pardonner et changer de dessein : notre Créateur, dans Son infinie sagesse, a laissé le Libre-arbitre à Ses créatures, qui parfois Le surprennent.
Jean, vous avez montre un grand respect envers la hiérarchie sacrée, témoignant ainsi de votre gratitude pour ceux qui vous ont permis de sauver votre âme par le baptême et de bénir votre union. Adeline, vous avez quant à vous témoigné d’une parfaite compréhension de ce que doit être l’amour : l’amitié aristotélicienne poussée à son paroxysme trouve sa plénitude dans le mariage et, évidemment, dans la procréation – sinon pourquoi ne pas autoriser deux personnes du même sexe à se marier ?
Pour vous récompenser de votre ferveur et de votre fidélité à Dieu, Il a décidé, sur ma demande, de vous autoriser à procréer. Mon nom est sainte Anastasia et je vous ordonne à présent de vous aimer ! »

Un mois plus tard, le ventre d’Adeline commençait à grossir et, neuf fois plus tard, naissait Thomas.
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